16

Ils roulaient déjà depuis plus d’une heure et la nuit était presque tombée. Des nuages argentés s’amoncelaient au-dessus des collines ondulantes et des champs verts découpés en carrés à la façon d’un immense patchwork.

Ils s’arrêtèrent dans un minuscule village au cimetière mal entretenu et dont l’unique rue était bordée de quelques maisons peintes en noir et blanc. Le pub était très chaleureux. Deux hommes jouaient aux fléchettes et l’endroit sentait bon la bière. Le moment est mal choisi pour s’arrêter boire un verre, songea Michael. Il ressortit du pub, alluma une cigarette et observa l’amabilité avec laquelle Ash conduisait son prisonnier à l’intérieur du pub, vers les toilettes.

De l’autre côté de la rue, Yuri était dans une cabine publique et parlait au téléphone avec vivacité. Apparemment, il avait réussi à joindre la maison mère. À côté de lui, bras croisés, Rowan contemplait le ciel. Yuri semblait à nouveau très nerveux et ne cessait de hocher la tête. Manifestement, Rowan écoutait ce qu’il disait.

Michael s’adossa au mur et tira sur sa cigarette. Il s’étonnait toujours qu’un voyage en voiture soit si fatigant. Malgré le suspense qui régnait sur celui-ci, il savait que, l’obscurité tombant sur la campagne, il allait plus ou moins s’assoupir pendant le reste du trajet.

Quand Ash et son prisonnier sortirent du pub, Gordon semblait accablé et désespéré. Visiblement, il n’avait pas cherché à demander de l’aide.

Yuri raccrocha le combiné et ce fut à son tour de disparaître dans le pub. Il avait toujours l’air angoissé, pour ne pas dire fou d’inquiétude. Pendant tout le trajet en voiture, Rowan n’avait cessé de l’observer attentivement. Lorsqu’elle n’avait pas les yeux rivés sur Ash, évidemment.

Michael regarda Ash réinstaller Gordon sur le siège arrière. Il n’essayait même pas de dissimuler le fait qu’il les épiait. Contrairement aux affirmations de Yuri, cet homme des plus étranges n’avait rien de hideux. Il était réellement beau et d’une constitution gracieuse. L’efficacité de ses gestes témoignait à la fois de sa vivacité et de sa force. Il avait prouvé ses réflexes étonnants lorsque Gordon avait tenté d’ouvrir la portière environ une demi-heure plus tôt.

Ses cheveux noirs lui rappelaient trop Lasher : trop soyeux, trop fins. Les mèches blanches ajoutaient de l’éclat à la silhouette générale. L’ossature du visage était bien trop forte pour qu’il soit féminin mais il était très délicat et la longueur du nez était compensée par la taille et l’écartement des yeux. La texture de la peau était celle d’un adulte et non d’un nouveau-né. Et le tout était dominé par une voix masculine, dont la force de persuasion était aussi puissante que les yeux, d’une simplicité trompeusement enfantine. On avait l’impression d’avoir affaire à un être angélique extrêmement sage, patient et néanmoins résolu à tuer Stuart Gordon.

Quel âge pouvait-il avoir ? On avait du mal à concevoir qu’il n’était pas humain. Il avait seulement l’air différent et fort étrange. Pourtant, à des milliers de petits détails, Michael savait bien qu’il n’était pas humain. La taille de ses articulations, sa façon curieuse d’écarquiller parfois les yeux au point d’avoir l’air stupéfait et, par-dessus tout, l’absolue perfection de sa bouche et de ses dents. La bouche était souple comme celle d’un enfant et les dents aussi blanches que sur une photo publicitaire impunément retouchée.

Pas une seconde Michael ne pouvait croire que cette créature était plusieurs fois centenaire ni le grand saint Ashlar des légendes de Donnelaith, ce roi converti au christianisme à la fin de la domination de l’Empire romain en Angleterre et qui avait laissé brûler Janet, son épouse païenne, sur le bûcher.

Michael croyait cependant au sinistre récit que lui avait fait Julien. Cette créature était indubitablement l’un des nombreux Ashlar, l’un des puissants Taltos de la lande, un frère de race de celui qu’il avait supprimé de ses propres mains.

Il en avait trop vu pour que le moindre doute subsiste, mais il ne se faisait pas à l’idée que ce grand homme superbe était le vieux saint Ashlar lui-même. Peut-être n’était-ce de sa part qu’un refus obstiné de la vérité.

Tu vis désormais dans des réalités totalement différentes les unes des autres, en conclut-il. C’est vraisemblablement pourquoi tu prends les choses avec un tel calme. Tu as vu un fantôme, tu l’as écouté, tu sais qu’il était bel et bien là. Il t’a raconté des choses que tu n’aurais jamais imaginées. Et tu as vu Lasher et entendu son long plaidoyer. Il t’a apporté des informations et de curieux détails dont le souvenir te plonge encore dans l’étonnement, maintenant que tu n’éprouves plus de pitié pour lui et qu’il est à six pieds sous terre.

Tu n’as pas oublié ? Tu as jeté le corps et la tête dans le trou, puis tu as trouvé l’émeraude et tu l’as admirée pendant que le cadavre décapité attendait d’être recouvert de terre.

Serais-tu capable de t’habituer à n’importe quoi ? Est-ce aussi ce qui est arrivé à Stuart Gordon ? Yuri était convaincu de sa culpabilité. Mais comment cet homme avait-il pu trahir ses propres valeurs ?

Michael devait admettre qu’il était lui aussi très sensible à la mystique celtique. Sa passion pour la fête de Noël provenait-elle de quelque attirance irrationnelle pour les rites nés dans ces îles ? Les objets de Noël qu’il avait collectionnés avec amour pendant tant d’années symbolisaient en quelque sorte les vieilles divinités celtes.

L’atmosphère de secret présente dans les vieilles demeures qu’il avait adoré restaurer tenait un peu du même phénomène.

D’une certaine façon, il comprenait Stuart Gordon et, très bientôt, la silhouette de Tessa expliquerait les sacrifices et les terribles erreurs du vieil homme.

De toute façon, il avait vécu des moments tellement invraisemblables que, maintenant, rien ne pouvait troubler son calme.

Tous ces événements t’ont profondément meurtri et marqué et te voilà devant le pub d’un village de carte postale, dans une rue en pente douce, et tu repenses à tout cela sans l’ombre d’une émotion. Tu te retrouves avec une créature non humaine mais dotée d’une intelligence humaine qui va bientôt rencontrer une femelle de sa race. Ce sera un moment d’une telle signification que personne n’ose réellement y songer, sauf, éventuellement, par respect pour l’homme qui va bientôt mourir. Qu’il est difficile de passer une heure dans une voiture avec un homme condamné à mort !

Il avait terminé sa cigarette et Yuri sortit du pub. C’était l’heure de reprendre la route.

— Tu as réussi à joindre la maison mère ? demanda Michael.

— Oui, j’ai passé quatre coups de téléphone pour joindre quatre personnes différentes. Si ces quatre-là, mes amis les plus proches, sont dans le coup, il n’y a plus d’espoir.

Michael rassura Yuri d’un tapotement sur l’épaule et le suivit vers la voiture.

Avant de monter, il prit la résolution de ne plus penser aux réactions de Rowan devant le Taltos. Par instinct de possession, il avait failli faire arrêter la voiture pour changer de place avec Yuri et s’asseoir à côté de sa femme.

Non, il ne se laisserait pas aller à ce genre d’impulsion. Mais il s’interrogeait sur ce que Rowan pensait ou ressentait en présence de cette étrange créature. Tout sorcier qu’il fût, par un hasard génétique et, peut-être, par une hérédité dont il ignorait tout, il ne lisait malheureusement pas dans les pensées. Toutefois, dès les premiers moments de la rencontre avec Ashlar, il avait su que sa femme ne mourrait pas si elle faisait l’amour avec lui. Maintenant qu’elle ne pouvait plus enfanter, elle ne risquait pas cette tragique hémorragie qui avait décimé les femmes Mayfair fécondées par Lasher.

Quant à Ash, s’il désirait Rowan, il n’en montrait rien. De toute façon, il était en route pour rencontrer une femelle de son espèce, sans doute l’une des dernières femelles Taltos au monde.

Il monta dans la voiture et claqua la portière.

Une interrogation subsistait encore : laisserait-il ce géant tuer Stuart Gordon ? Bien sûr que non. Tu ne laisseras jamais un meurtre se commettre sous tes yeux sans réagir. La dernière fois que cela t’est arrivé, tout s’est passé si vite que tu n’as rien pu faire. D’un autre côté, pour être honnête, tu as tué toi-même trois personnes. Et ce salaud qui prétend détenir une sorte de divinité venue d’ailleurs a tué Aaron.

Le petit village disparut derrière eux dans l’obscurité. Lorsque Michael tourna la tête, il fut surpris de constater que Rowan l’observait. Assise légèrement sur le côté, elle avait posé une jambe sur le siège derrière lui, probablement pour pouvoir le regarder. Le bas de sa robe recouvrait pudiquement ses genoux. Aucune provocation là-dedans.

Il étendit son bras sur le dossier en cuir et posa sa main gauche sur l’épaule de Rowan, qui se laissa faire et le regarda de ses grands yeux gris complices. C’était mieux qu’un sourire.

Il l’avait évitée pendant tout le temps où ils étaient restés au village et se demandait pourquoi. Sur une impulsion, il décida de faire quelque chose d’assez vulgaire. Il se pencha en arrière, lui attrapa la nuque, l’embrassa rapidement et reprit sa place. Elle aurait pu l’en empêcher mais elle n’en fit rien. Et, lorsque leurs lèvres s’étaient touchées, il avait ressenti une douleur intérieure qui commençait à prendre des proportions alarmantes. Je t’aime ! Mon Dieu, donne-nous une autre chance !

Il s’appuya contre son dossier et regarda le ciel s’obscurcir à travers le pare-brise. Au bout d’un moment, il posa la tête contre la portière et ferma les yeux.

Rien ne pourrait empêcher Rowan de tomber amoureuse de cette créature incapable de lui faire un bébé monstrueux, rien, à part sa volonté et le consentement qu’ils avaient échangé à leur mariage. Mais cela suffirait-il ?

Vingt minutes plus tard, il faisait nuit noire. Les phares balayaient l’obscurité et l’on aurait pu se croire sur n’importe quelle route, n’importe où au monde.

Gordon rompit le silence. Prochaine route à droite, puis première à gauche.

La voiture s’enfonça dans un bois de hêtres et de chênes, au milieu desquels se détachaient parfois quelques arbres fruitiers.

La route n’était pas goudronnée et les bois s’épaississaient. Était-ce un vestige d’une de ces forêts où officiaient les druides et qui recouvraient autrefois la totalité de l’Angleterre et de l’Écosse, de toute l’Europe, peut-être ? Une de ces forêts que Jules César avait fait déboiser dans le but de faire fuir ou mourir les dieux de ses ennemis.

La lune n’était pas très brillante mais permit à Michael d’apercevoir un petit pont, puis un virage et un petit lac paisible. Loin, de l’autre côté du plan d’eau, s’élevait une tour, peut-être une tour de guet normande. La vue était si romantique que des poètes du siècle dernier s’étaient fort probablement épris de ce petit coin tranquille. Ou alors, c’était un bâtiment de construction relativement récente, une de ces magnifiques imitations qui avaient poussé un peu partout dans le monde à l’époque où le style gothique était à la mode.

Ils contournèrent le lac et s’approchèrent de la tour. C’était en fait une tour normande ronde d’époque, plutôt grande, couronnée de créneaux et comptant trois niveaux. Les fenêtres étaient éclairées et la partie basse du bâtiment était masquée par des arbres.

Oui, c’était bien cela. Une de ces tours normandes dont Michael avait vu bien des exemplaires au cours de ses études, lorsqu’il parcourait les routes d’Angleterre.

Le lac, l’arbre gigantesque sur la droite, tout était proche de la perfection. Il apercevait maintenant les fondations d’une construction attenante, plus grande, que le vent et la pluie avaient détruite au fil des siècles et que le lierre sauvage avait envahie.

La voiture traversa un épais taillis de jeunes chênes et la tour disparut un instant de leur champ de vision pour réapparaître soudain, bien plus proche. Quelques voitures étaient garées devant et deux appliques encadraient l’énorme porte d’entrée.

L’endroit semblait parfaitement aménagé, sans aucune addition moderne visible.

Personne ne disait mot.

Le chauffeur arrêta la voiture dans l’allée de gravier. Michael sortit sans attendre et regarda tout autour de lui. Un jardin anglais, vers le lac et la forêt, et des massifs de fleurs égayaient les lieux. Tout cela devait être féerique à la lumière du jour. Mais seraient-ils encore là au lever du soleil ?

Un énorme mélèze s’interposait entre eux et la tour, un des plus vieux arbres que Michael ait jamais vus. Il s’approcha du tronc à l’âge vénérable, s’apercevant qu’il s’éloignait de sa femme. Il ne pouvait faire autrement.

Lorsqu’il se retrouva sous les immenses branches, il regarda vers la façade de la tour et aperçut une silhouette derrière une fenêtre. C’était une femme à la tête et aux épaules fines, dont les longs cheveux n’étaient pas noués, à moins qu’elle ne portât un voile.

L’espace d’un instant, il se laissa submerger par la scène. Les nuages cotonneux et la lune, perchée haut dans le ciel, ajoutaient à la majesté du bâtiment.

Il entendit les autres approcher mais ne fit aucun geste, tant la contemplation des lieux l’absorbait. Il examinait chaque détail dans l’espoir de ne jamais les oublier. Était-il fatigué par le décalage horaire ou devenait-il fou comme Yuri ? En tout cas, l’endroit symbolisait à lui seul toute l’aventure qu’ils venaient de vivre, avec ses horreurs et ses révélations. Dans cette tour se trouvait la princesse promise.

Le chauffeur avait éteint les phares. Les autres passèrent devant et Rowan resta près de lui. Il vit l’immense silhouette d’Ash devant lui, tenant toujours fermement le pauvre Stuart Gordon qui semblait à chaque pas sur le point de s’écrouler.

L’instant crucial. Penser qu’une femelle Taltos vivait dans cette tour et que, bientôt, Ash allait tuer l’homme qui les guidait vers la porte lui fit l’effet d’un coup de poing.

Cet instant serait peut-être le seul souvenir qu’il garderait de toute cette aventure.

Ash prit la clé des mains de Stuart Gordon et l’introduisit dans l’énorme serrure de fer. La porte s’ouvrit et ils pénétrèrent dans une grande entrée éclairée à l’électricité. Les sièges massifs et confortables, de style Renaissance, aux pieds sculptés se terminant par des pattes d’animaux, étaient usés mais très beaux.

Les murs étaient couverts de peintures médiévales, certaines ayant le brillant impérissable de la détrempe à l’œuf. Plus loin se trouvait une armure couverte de poussière et d’autres trésors étaient placés un peu partout. Cet endroit était l’antre d’un poète amoureux du passé de l’Angleterre.

Sur la gauche, un escalier montait en suivant la courbe du mur, éclairé par une lumière venant de l’étage supérieur.

Ash lâcha Stuart Gordon et alla au pied de l’escalier. Il posa la main sur le pilastre grossier et commença à monter. Rowan lui emboîta le pas.

Stuart Gordon ne semblait pas se rendre compte qu’il était libre.

— Ne lui faites pas de mal ! cria-t-il. Ne la touchez pas sans son autorisation ! N’abîmez pas mon trésor !

Ash s’arrêta, regarda Gordon d’un air pensif, puis reprit son ascension.

Tout le monde le suivit, Gordon en dernier, qui soudain, poussa Michael puis Yuri pour passer devant eux. Il rattrapa Ash en haut de l’escalier et disparut de la vue de Michael.

À l’étage, la pièce était identique à celle du rez-de-chaussée, hormis le fait que deux petits cabinets aux murs de bois y avaient été aménagés. Une salle de bains et des toilettes, probablement. Ils semblaient se fondre dans la pierre derrière eux. La pièce principale était meublée de canapés, de vieilles chaises avachies et de lampadaires dont les abat-jour en parchemin projetaient de petits îlots de lumière dans la pénombre. Au plafond était suspendu un lustre en fer forgé dont les bougies allumées éclairaient un plancher bien ciré.

Michael mit un moment à se rendre compte qu’il y avait quelqu’un dans la pièce. Yuri, lui, l’avait vu.

Tout au fond, une grande femme longiligne était assise sur un tabouret devant un métier à tapisserie. Une petite lampe à col de cygne éclairait ses mains, mais pas son visage, et une partie de sa tapisserie aux couleurs sourdes.

Ash s’était figé et regardait la femme, qui l’observait aussi. C’était la princesse aux cheveux longs que Michael avait aperçue à la fenêtre.

Gordon se précipita vers elle.

— Tessa, dit-il. Tessa, je suis là, ma chérie.

Il semblait avoir oublié la présence des autres.

La femme se leva. Elle paraissait immense par rapport à la frêle silhouette du vieillard. Elle poussa un soupir délicat et tendit les mains pour toucher les épaules de Gordon. Malgré sa taille, elle était de constitution si délicate qu’elle paraissait plus fragile que lui. Gordon la prit par la taille et la fit avancer vers le petit groupe.

Rowan avait une expression sévère. Yuri était captivé. Le visage d’Ash était impénétrable. Il regarda à peine la femme avancer jusque sous le lustre, la lumière éclairant sa tête et son front.

Pour une femme, elle semblait démesurément grande. Son visage à l’arrondi parfait ne présentait aucune ride, comme celui d’Ash. Sa bouche était souple et petite et ses yeux, bien que grands et d’une couleur inhabituelle, semblaient timides. Bleus et doux, ils étaient bordés, comme ceux d’Ash, de longs cils épais. Sa longue chevelure blanche ressemblait à un nuage vaporeux. Elle était si fine qu’elle paraissait presque transparente dans la lumière.

La femme portait une robe violette joliment froncée sous les seins et dont les manches à l’ancienne, serrées au niveau des bras, bouffaient ensuite jusqu’aux poignets.

On aurait dit une princesse de conte de fées. À mesure qu’elle s’approchait d’Ash, Michael devinait que sa peau était très pâle, presque blanche. Elle ressemblait à un cygne aux joues fermes, à la bouche légèrement brillante et aux cils flamboyant autour de ses yeux bleus.

Un froncement de sourcils creusa un pli dans son front et l’on aurait dit un bébé sur le point de pleurer.

— Taltos, murmura-t-elle.

Elle ne paraissait pas ennuyée, mais triste.

Yuri laissa échapper un léger soupir.

Gordon était complètement médusé, comme s’il n’était pas préparé à cette rencontre. Avec ses yeux remplis d’amour et de ravissement, il parut un instant très jeune.

— C’est votre femelle ? demanda doucement Ash.

Il la fixait des yeux en souriant légèrement mais n’avait fait aucun mouvement vers elle. Il parlait lentement.

— C’est la femelle pour laquelle vous avez tué Aaron Lightner et voulu tuer Yuri ? Celle à qui vous vouliez à tout prix amener un Taltos mâle ?

— Mais qu’est-cc que vous dites ? répondit Gordon d’une voix timorée. Si vous osez la blesser, que ce soit en paroles ou en gestes, je vous tuerai.

— Je ne crois pas, dit Ash. Ma très chère, dit-il à la femme, vous me comprenez ?

— Oui, dit-elle d’une voix douce et claire.

Elle haussa les épaules et écarta les bras à la manière d’un saint en extase.

— Taltos, répéta-t-elle en hochant tristement la tête.

La pauvre Emaleth était-elle aussi féminine ?

Michael revit soudain le visage d’Emaleth éclater sous l’impact des balles et son corps tomber à la renverse. Était-ce pour cela que Rowan pleurait ou était-elle seulement fatiguée ?

— Belle Tessa, dit Ash en levant les sourcils.

— Qu’y a-t-il ? s’inquiéta Gordon. Il y a quelque chose qui ne va pas ? Dites-le-moi !

Il commença à s’approcher mais s’arrêta net, manifestement pour ne pas s’interposer entre eux. Sa voix s’était faite mélancolique.

— Dieu du ciel ! Je n’avais pas imaginé que la rencontre se passerait ainsi, devant des gens qui en saisissent à peine la signification.

L’air était trop chargé d’émotion pour que l’on puisse douter de sa sincérité. Ses gestes tenaient davantage, maintenant, de la tragédie que de l’hystérie.

Ash ne bougeait toujours pas et souriait à Tessa. Il hocha la tête de plaisir lorsque la petite bouche se mit à sourire.

— Tu es très belle, murmura-t-il.

Il leva une main, déposa un baiser sur ses doigts et les posa sur la joue de la femme.

Elle soupira, étendit son long cou puis lui tendit les bras. Il la prit dans les siens. Il l’embrassa tendrement, sans passion.

Gordon vint se placer entre eux, prit Tessa par la taille et la fit doucement reculer.

— Pas ici, je vous en prie.

Il lâcha Tessa et s’approcha d’Ash, les mains jointes comme pour une prière. Il le regarda franchement, comme pris par un sentiment plus important que sa propre vie.

— Quel est le lieu propice au mariage de deux Taltos ? demanda-t-il avec révérence. Quel est le lieu sacré d’Angleterre où la tour en ruine de l’ancienne église Saint-Michel reste dressée en sentinelle ?

Ash le considérait avec tristesse et l’écoutait à peine.

— Laissez-moi vous y emmener tous les deux, poursuivit le vieil homme. Laissez-moi voir l’union des Taltos sur Glastonbury Tor ! Si je peux voir cela, si je vois le miracle de la naissance là-bas, sur le mont sacré, à l’endroit où le Christ lui-même est venu en Angleterre, où les anciens dieux sont tombés et les nouveaux se sont levés, où le sang a été répandu pour défendre le sacré… Si je vois cela, la naissance de l’enfant déjà adulte qui se lève pour étreindre ses parents, symbole de la vie elle-même, peu m’importe de mourir.

Yuri observait la scène d’un air soupçonneux.

Ash était la patience même et, pour la première fois, Michael lut une profonde émotion dans ses yeux et son sourire.

— Alors, dit encore Gordon, j’aurai vu ce pour quoi je suis né. J’aurai été le témoin du miracle chanté par les poètes et rêvé par les vieilles gens. Un miracle encore plus grand que ceux dont j’ai lu ou entendu le récit. Accordez-moi ces derniers instants, précieux. Le temps d’aller là-bas. Ce n’est pas loin. À peine à un quart d’heure d’ici, quelques minutes dans notre vie à tous. Et, sur Glastonbury Tor, je vous la remettrai, comme un père donne sa fille, son trésor, ma bien-aimée Tessa. Et vous ferez ce que vous désirez tous deux.

Il s’interrompit et regarda Ash désespérément calme et triste, comme si, par ses paroles, il acceptait sa propre mort.

Il ne remarqua même pas le mépris silencieux de Yuri. Michael était émerveillé par la transformation du vieil homme, sa grande conviction.

— Glastonbury, murmura Gordon. Je vous en prie. Pas ici.

Le visage d’Ash ne bougea pas d’un pouce puis, doucement, comme s’il brisait un terrible secret, il dit :

— Il n’y aura ni union ni nouveau-né. Votre magnifique trésor, votre Tessa est vieille. Elle ne peut enfanter.

— Vieille ? répéta Stuart, incrédule, soufflé. Vieille ? Vous êtes fou ?

Il se tourna vers Tessa qui le regardait sans chagrin ni déception.

— Vous êtes fou ! dit-il à nouveau en haussant la voix. Regardez-la ! Regardez son visage, ses formes ! Elle est magnifique. Je vous ai amené une épouse d’une telle beauté que vous devriez tomber à genoux et me couvrir de remerciements.

— Son visage restera probablement le même jusqu’au jour de sa mort, expliqua Ash. Je n’ai jamais vu un visage de Taltos différent de celui-ci. Mais ses cheveux sont complètement blancs et aucune odeur n’émane d’elle. Demandez-le-lui. Les humains l’ont utilisée un grand nombre de fois. Ou peut-être erre-t-elle depuis encore plus longtemps que moi. Son ventre n’est plus fertile. Sa source est tarie.

Gordon ne protesta pas. Ses mains étaient crispées sur sa bouche.

La femme avait l’air un peu étonnée mais pas troublée. Elle fit un pas en avant et posa son long bras fin autour d’un Gordon tremblant, avant de s’adresser directement à Ash.

— Tu me juges pour ce que les hommes m’ont fait, dit-elle. Ils m’ont utilisée dans chaque village et chaque ville où je suis allée. Pendant des années, ils ont fait couler mon sang jusqu’à ce qu’il soit épuisé.

— Non, je ne te juge pas, dit Ash, très touché. Je le promets que je ne te juge pas, Tessa.

— Ah ! dit-elle en souriant, presque heureuse.

Elle regarda soudain Michael puis la silhouette de Rowan près de l’escalier. Elle eut une expression de tendresse.

— Je suis à l’abri des horreurs de ce monde, dit-elle. Stuart m’aime d’un amour chaste. Cet endroit est mon refuge.

Elle tendit les mains vers Ash.

— Tu ne veux pas rester avec moi pour parler ? lui demanda-t-elle en l’entraînant vers le centre de la pièce. Tu ne veux pas danser avec moi ? J’entends de la musique quand je plonge mon regard dans le tien.

Elle l’attira contre elle et dit avec une profonde sincérité :

— Je suis si contente que tu sois venu.

Elle regarda vers Gordon. Les mains toujours crispées sur sa bouche, il recula et s’écroula sur un vieux siège en bois. Il posa la tête contre le dossier et la tourna sur le côté. On eût dit que la vie l’avait quitté.

— Danse avec moi, dit Tessa. Et vous, dit-elle en s’adressant aux autres, vous ne voulez pas danser ?

Elle écarta les bras, pencha la tête en arrière et secoua ses cheveux blancs qui ressemblaient à ceux d’une très vieille femme. Elle se mit à tourner sur la pointe des pieds jusqu’à ce que sa longue robe violette voltige autour d’elle, gonflée comme une cloche.

Michael ne pouvait détacher son regard de la gracieuse danse de Tessa. Elle tournait d’abord pour former un grand cercle, puis rapprochait son pied gauche du pied droit, comme pour une danse rituelle.

Quant à Gordon, sa déception semblait plus importante encore que sa vie. C’était comme s’il avait déjà reçu le coup fatal.

Ash, l’air navré, regardait Tessa avec fascination.

— Vous mentez, dit Stuart dans un murmure désespéré. Vous n’êtes qu’un odieux menteur.

Ash ne prit pas la peine de répondre. Il sourit et fit un signe de tête à Tessa.

— Stuart, ma musique. S’il te plaît, joue ma musique pour… pour Ash.

Elle fit une révérence devant Ash et lui adressa un nouveau sourire. Il s’inclina à son tour et lui prit les mains.

Sur la chaise, la pauvre forme ratatinée de Gordon était incapable du moindre mouvement.

— Ce n’est pas vrai, dit-il encore, mais sans grande conviction, cette fois.

Tessa se mit à chantonner et recommença à tourner en rond.

— Joue la musique, Stuart, joue-la.

— Je m’en occupe, glissa Michael à voix basse.

Il se retourna et chercha du regard un magnétophone ou quelque instrument de musique, souhaitant de toutes ses forces ne pas tomber sur une harpe ou un violon…

Il se sentait très malheureux, incapable de ressentir le soulagement qui aurait dû être le sien. Rowan elle aussi avait l’air accablée. Se tenant très droite contre la rampe d’escalier, elle suivait des yeux la silhouette qui dansait en chantonnant une mélodie très distincte que Michael connaissait et aimait beaucoup.

Michael découvrit enfin une chaîne stéréo très moderne munie de dizaines de petits écrans à cristaux liquides, de boutons et de fils ondulant le long des murs jusqu’à des haut-parleurs.

Il se pencha pour lire l’étiquette de la cassette déjà introduite dans la platine.

— C’est ça qu’elle veut, dit Stuart. Appuyez sur le bouton. Elle l’écoute sans arrêt. C’est sa musique.

— Dansez avec nous, dit Tessa. Vous ne voulez pas danser avec nous ?

Elle s’approcha d’Ash qui, cette fois, ne put résister. Il lui prit une main et passa son autre bras autour de sa taille, comme pour danser la valse.

Michael enfonça le bouton.

La musique commença doucement par des notes de basse, bientôt rejointes par des trompettes et un clavecin qui, après avoir suivi la même ligne mélodique, prit le dessus et emmena ensuite les instruments à corde.

Immédiatement, Ash entraîna sa cavalière dans une succession de pas circulaires.

Michael reconnut tout de suite le Canon de Pachelbel, dans une version superbe qu’il n’avait jamais entendue.

Le couple glissait sur le plancher, la tête légèrement penchée, bien en rythme avec les instruments. Ash et Tessa souriaient de plaisir. Le rythme s’accéléra, les trompettes se mirent de la partie et toutes les voix se mêlèrent de façon magnifique et presque jubilante. Ash entraînait Tessa dans des cercles de plus en plus rapides. Sa robe flottait librement et ses petits pieds tournaient avec une grâce parfaite.

Un autre son vint se mêler à la composition. C’était la voix d’Ash, qui chantait ou, plutôt, chantonnait, bientôt rejoint par la voix de Tessa. Leurs voix claires s’élevaient au-dessus des trompettes, exécutant sans effort les crescendos. Ils tournèrent de plus en plus vite, le dos bien droit, et commencèrent à rire de pur bonheur.

Les yeux de Rowan se remplirent de larmes en contemplant le grand homme majestueux et la petite reine des fées agile et gracieuse. Gordon, agrippé aux bras du fauteuil, à bout de forces, pleurait aussi.

Appuyé contre le mur, Yuri semblait complètement retourné et sur le point de perdre tout contrôle de lui-même.

Les yeux d’Ash étaient pleins d’adoration. Il balançait la tête et dansait de plus en plus vite.

Michael avait le sentiment qu’il fallait les laisser seuls à leur union poignante, probablement le seul moment d’intimité qu’ils auraient jamais. Du reste, ils semblaient avoir oublié qu’ils n’étaient pas seuls.

Mais il ne pouvait se résoudre à partir et personne ne bougeait. Ash et Tessa poursuivirent leur danse folle jusqu’à ce que la musique ralentisse, que les instruments se mettent à jouer plus lentement, annonçant déjà qu’ils allaient bientôt se taire, jusqu’à ce que la trompette donne sa note finale et que le silence reprenne ses droits.

Le couple s’arrêta au beau milieu de la pièce, sous le lustre qui éclaboussait de lumière leurs visages et leurs cheveux.

Michael était paralysé. Une musique comme celle-là était dangereuse. Elle pouvait provoquer un sentiment de déception et de grand vide. Elle disait : la vie peut être ainsi. Ne l’oublie jamais.

Silence.

Ash souleva les mains de la reine des fées, les examina attentivement puis en embrassa les paumes et les lâcha. Tessa le regardait comme si elle était amoureuse, peut-être pas de lui mais de la musique, de la danse, de la lumière, de tout.

Il la reconduisit à son métier, la fit asseoir doucement sur son tabouret puis lui tourna, la tête pour que ses yeux tombent sur son ouvrage. À l’instant même, elle parut oublier qu’il était là. Ses doigts attrapèrent les fils et se mirent immédiatement à l’œuvre.

Ash recula en prenant garde de ne pas faire de bruit puis se retourna vers Stuart Gordon.

Ni plainte ni protestation n’émanèrent du vieil homme accablé, dont les yeux passaient successivement d’Ash à Tessa.

Le moment fatidique était arrivé. Michael espérait que Gordon allait tenter quelque récit, quelque longue explication pour gagner du temps. Il devait essayer. Il fallait que quelqu’un essaie. Cet homme n’était qu’un misérable vieillard et, ne fût-ce que pour cette raison, devait être sauvé d’une exécution immédiate.

— Je veux les noms des autres, dit simplement Ash. Je veux savoir qui sont vos complices à l’intérieur et à l’extérieur de l’ordre.

Stuart prit son temps pour répondre.

— Non. Je ne vous les donnerai jamais.

Sa réponse était ferme et définitive. Abattu de chagrin, l’homme semblait imperméable à toute forme de persuasion.

Ash se mit à avancer calmement vers lui.

— Attendez ! intervint Michael. Je vous en prie, attendez.

Ash s’arrêta et le regarda poliment.

— Qu’y a-t-il, Michael ? demanda-t-il, comme s’il n’en avait aucune idée.

— Ash, laissez-le nous raconter ce qu’il sait, dit Michael. Qu’il nous donne sa version des faits !

 

Taltos
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